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28 neutrinos de très haute énergie ont été détectés par l’expérience IceCube, ouvrant la voie à l'étude des phénomènes astrophysiques énergétiques.
La lumière visible émise par les étoiles a longtemps été la seule source d’information dont disposaient les astronomes pour explorer l’Univers. La palette des messagers du cosmos a depuis été étendue à la partie invisible du spectre électromagnétique (rayons X, infrarouge, etc.), puis aux rayons cosmiques (protons, électrons, antiparticules…). Les astronomes peuvent maintenant ajouter les neutrinos de très haute énergie à leur trousse à outils : l’analyse de deux ans de données de l’expérience IceCube, installée en Antarctique, a révélé 28 neutrinos de très haute énergie (plus de 1015 électronvolts). Les chercheurs vont pouvoir ainsi étudier certains phénomènes astrophysiques énergétiques dans l'Univers lointain.
Dans le modèle standard de la physique des particules, les neutrinos forment une famille un peu à part. Ils interagissent très rarement avec la matière ordinaire – des milliards d’entre eux traversent le corps humain chaque seconde –, ils ont une masse plus faible de plusieurs ordres de grandeur que les autres particules connues, et ils « oscillent », c'est-à-dire qu'ils se transforment régulièrement d’une espèce (« saveur ») à une autre. Toutes ces caractéristiques soulèvent des questions théoriques complexes et de nombreuses expériences ont été mises en place pour étudier ces particules fantomatiques.
Une autre question est celle de leur origine. Il existe de nombreuses sources de neutrinos : la radioactivité terrestre, les réactions de fusion au cœur du Soleil et la désintégration de rayons cosmiques qui percutent l’atmosphère terrestre sont parmi les plus importantes. Des sources astrophysiques sont aussi connues. Des neutrinos ont par exemple été détectés en provenance de la célèbre supernova 1987A. Comme ces particules interagissent très peu avec la matière, elles se sont échappées des couches internes de l'étoile en train d'exploser avant les photons et sont arrivées sur Terre avec trois heures d’avance.
Les neutrinos détectés par IceCube ont une énergie bien plus élevée que ceux issus des sources précédentes : typiquement un million de fois supérieure à celle des neutrinos de la supernova 1987A. Leur origine n’est pas encore établie, mais pourrait être liée à des phénomènes violents tels que des sursauts gamma, des noyaux actifs de galaxies ou des trous noirs. En étudiant ces neutrinos, les astrophysiciens affineront leur connaissance de ces phénomènes énergétiques.
L’expérience IceCube tire parti de l’épaisse couche de glace de la calotte Antarctique pour observer les neutrinos. Un neutrino qui pénètre dans la glace a une petite probabilité d’interagir avec le milieu. Cette interaction produit alors une particule chargée (par exemple un muon, l’équivalent d’un électron, mais de masse plus importante) à laquelle l'énergie du neutrino est transmise. Si cette particule se déplace plus rapidement que la vitesse de la lumière dans la glace d'eau (environ 230 000 kilomètres par seconde), elle émet un rayonnement dit de Tcherenkov (à l'origine de la lumière bleutée dans le réacteur des centrales nucléaires). IceCube détecte ce rayonnement grâce 5 160 modules optiques installés sur 86 câbles verticaux pris dans la glace entre 1 500 et 2 500 mètres de profondeur. Un volume total d'un kilomètre cube de glace est ainsi surveillé par ce dispositif pour détecter le passage des neutrinos.
À partir du signal enregistré, les chercheurs peuvent déterminer l’énergie du neutrino précurseur de la particule chargée. En avril 2012, ils avaient détecté deux neutrinos d'énergie supérieure à 1 000 téraélectronvolts (ils ont été nommés « Bert » et « Ernie », d’après deux personnages d’une émission pour enfants). Puis, en analysant deux ans de mesures entre 2010 et 2012, l’équipe a identifié 26 neutrinos d'énergie supérieure ou égale à 30 téraélectronvolts (à titre de comparaison, le collisionneur LHC du CERN accélérera à terme ses protons à une énergie de 7 téraélectronvolts, un téraélectronvolt étant égal à 1 000 gigaélectronvolts ou 1012 électronvolts).
L’expérience IceCube a ainsi prouvé sa capacité à détecter les neutrinos de haute énergie. Reste à détecter leur source. Les neutrinos se déplacent en ligne droite, si bien que si l'on parvenait à déterminer leur direction, on pourrait en déduire celle de leur source. Dans les mesures d’IceCube, on distingue deux types de signaux : les uns laissent une trace assez fine en ne déclenchant que quelques modules optiques sur leur passage; les autres allument au contraire beaucoup de modules. La précision obtenue sur la direction de la particule est d’un degré environ pour le premier type, contre une à plusieurs dizaines de degrés pour le second. Ainsi, un unique neutrino ne suffit pas pour déterminer la source, même s’il laisse une trace fine.
Les chercheurs ont donc cherché des coïncidences spatiales et temporelles entre les 28 neutrinos détectés. Si une source émet régulièrement des neutrinos pendant un laps de temps suffisant, on peut espérer enregistrer plusieurs neutrinos provenant d’une même zone du ciel. S’il s’agit d’un événement ponctuel dans le temps, on peut espérer voir les neutrinos arriver à des instants assez proches. Jusqu'ici, aucune source n’a été identifiée. Mais l’accumulation de nouveaux neutrinos détectés pourrait changer la donne et ainsi ouvrir la voie à une nouvelle façon de faire de l’astronomie.
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