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Déjà au Dévonien, il y a environ 400 à 350 millions d’années, la modification de l’albédo (réflectivité terrestre) due à la colonisation des continents par les plantes a profondément changé le cycle de l’eau. La conséquence fut une baisse massive de la quantité de CO2 atmosphérique, sans pour autant modifier la température moyenne du globe. Evénement unique dans l’histoire de la Terre. C’est ce que montre une approche originale par modélisation, menée par une équipe de chercheurs français et américain (*), publiée dans la revue Earth and Planetary Science Letters d'octobre 2011.
Si les premiers indices de l’existence de plantes terrestres remontent à la période Ordovicienne (~470 Ma), ce n’est que durant le Dévonien (416 à 359 Ma) que les plantes terrestres sont devenues suffisamment abondantes et diversifiées pour changer les déserts continentaux en paysages couverts de végétation et propices à l’évolution d’une vie terrestre riche et complexe. Cet événement de diversification a été comparé à l’« Explosion Cambrienne » en termes d’intensité et d’impact sur la biodiversité.
On suspecte depuis une quinzaine d’années que cette colonisation des continents par les végétaux a eu des conséquences importantes sur le cycle global du carbone, et donc sur le climat. Les études précédentes se sont exclusivement intéressées à l’impact du développement du système racinaire sur l’altération chimique des sols et des roches. Il a ainsi été montré que la présence de plantes augmente fortement l’altération des continents (jusqu’à un facteur 10), processus consommateur de CO2 atmosphérique. Cependant jusqu’à aujourd’hui, aucune étude n’avait été menée sur les modifications de l’albédo de surface et l’évapotranspiration consécutivement à la colonisation des continents par les plantes (effets biophysiques).
Comment estimer les effets biophysiques des premières plantes au Dévonien?
Afin d'explorer les interactions entre la végétation et le système climat-carbone, les auteurs ont utilisé le modèle de climat 3D GEOCLIM(1), adapté aux échelles de temps géologique, couplé à un modèle de végétation développé par l’équipe pour l’occasion (SLAVE-Jr). Ce couplage a permis de reconstruire l’évolution simultanée de la végétation, du cycle global du carbone et du climat durant le Dévonien.
Pour tenir compte des données fossiles, trois types de végétation ont été pris en compte : des communautés de plantes primitives peu élevées, seules présentes au début du Dévonien ; des forêts de fougères arborescentes, apparues au Dévonien moyen ; et des forêts d’arbres architecturalement proches des conifères modernes, apparus au Dévonien supérieur. Les caractéristiques biophysiques de ces plantes aujourd’hui disparues ont été déduites d’analogues présentant des caractéristiques biologiques les plus proches possibles. Ce travail de comparaison des flores fossiles et actuelles a été réalisé dans le cadre d’une collaboration étroite avec les paléobotanistes de l’AMAP (botAnique et bioinforMatique de l’Architecture des Plantes) de Montpellier.
Quelles conséquences pour l’évolution du climat au Dévonien ?
D’après cette étude, la plus faible dépendance des plantes vis-à-vis de l’eau a permis aux plantes de s’étendre largement sur les continents lors du Dévonien supérieur (~370Ma), extension également favorisée par un climat globalement plus humide. Au cours du Dévonien, les sols désertiques laissant place à un couvert végétal de plus en plus dense et vert, une baisse d’albédo de plus de 10% à l’échelle globale a été mise en évidence par la modélisation. En réponse à cette baisse, les chercheurs constatent que la température tend dans un premier temps à augmenter, favorisant une accélération du cycle de l’eau sur le continent. Il en résulte un drainage plus important des sols, et une augmentation de la consommation de CO2 par l’altération continentale. Selon ces simulations, le CO2 se serait alors effondré de moitié.
Paradoxalement la température globale simulée est restée quasiment inchangée en raison de la baisse d’albédo, autorisant une absorption plus importante d’énergie par la surface de la Terre. Ce mécanisme climatique unique dans l’histoire de la Terre, permettrait d’expliquer le découplage observé entre les données de température et la pression de CO2 au cours du Dévonien, découplage jusque là resté inexpliqué.
http://www.insu.cnrs.fr/co/terre-solide/origine-evolution-histoire/l-impact-climatique-de-la-colonisation-des-premieres-plantes