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Chez les drosophiles, le manque de nourriture inhibe les mécanismes de mémorisation à long terme. L’économie d’énergie qui en résulte augmente leur survie.
Près d’un milliard d’êtres humains dans le monde souffrent de la faim et 38 millions sont menacés de famine, notamment en Afrique. Comment l’organisme s’adapte-t-il à une telle pénurie en calories ? Le cerveau contrôle la prise alimentaire et la répartition des ressources dans l’ensemble de l’organisme. En cas de sous-alimentation, il limite la consommation d’énergie des organes périphériques, afin de maintenir le fonctionnement des organes vitaux. Mais ce ne serait pas tout : Pierre-Yves Plaçais et Thomas Preat, du Laboratoire de neurobiologie de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de Paris (UMR CNRS/ESPCI), ont montré, chez la drosophile (la mouche du vinaigre), que le cerveau se prive lui-même d’énergie en bloquant les mécanismes de mémorisation à long terme.
On sait que la sous-alimentation chez l’homme s’accompagne de performances cognitives inférieures, probablement liées à un manque d’énergie. Mais on ne l’a jamais prouvé. En 2012, les deux neurobiologistes français ont montré comment les drosophiles gardent en mémoire – à long terme – une odeur associée à un danger. Ils ont soumis ces mouches à une expérience de conditionnement « aversif » : elles doivent associer la perception d’une odeur à celle de chocs électriques et s’en souvenir. Les chercheurs ont alors constaté que, dans le centre de la mémoire olfactive des mouches (nommé corps pédonculé), deux paires de neurones dopaminergiques – qui utilisent la dopamine comme neurotransmetteur – contrôlent le stockage en mémoire à long terme : l’activité électrique de ces neurones oscille quand les mouches mémorisent l’association de l’odeur aux chocs, et différents mécanismes moléculaires de consolidation de la trace mnésique sont mis en œuvre.
PLus récemment, P.-Y. Plaçais et T. Preat ont cherché à déterminer comment le cerveau s’adapte à une pénurie en calories. Ils ont d’abord montré que la privation de nourriture durant 24 heures empêche la mémorisation à long terme chez les drosophiles soumises à l’expérience de conditionnement aversif. En outre, s'ils forcent cette mémorisation en stimulant les deux paires de neurones dopaminergiques, la mémoire à long terme est rétablie. Mais la durée de vie des drosophiles est alors réduite de 30 pour cent ! Ce serait la preuve qu’elles ont manqué d’énergie.
Le cerveau est donc capable de se réguler lui-même en cas de privation de nourriture : il inhibe un mécanisme de mémorisation, coûteux en énergie, ce qui augmente les chances de survie. Bien sûr, les mouches sont des modèles expérimentaux qui permettent aux scientifiques d’étudier des mécanismes neurobiologiques. Mais ces derniers se retrouvent parfois chez les mammifères : les molécules et les protéines mises en jeu lors de la mémorisation à long terme chez la drosophile sont semblables à celles participant à la mémoire humaine. L’amnésie est peut-être une stratégie d’adaptation cérébrale à la famine.
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